Rumeurs des acteurs

Au cours de la nuit suivant la rencontre du Gobelin dans les égouts, certain d'entre vous auront peut-être croisé Evan se rendre au port. Pour ceux qui traînaient vers les quais cette nuit, ceux là auront même pu entendre que le navire du Capitaine Warthson, l'Eden, était rentré de son escapade en Uldum. Evan n'aura pas eu le temps de se reposer de leur sinistre promenade, les quelques heures séparant l'arrivée du navire du petit matin employées à faire l'inventaire de ce que ses marins auraient pu ramener dans leur cale.

On pourra lire, ecrit avec la finesse d'un tranchecrin pris d'une crise d'epilepsie, ajouté au parchemin:

« Sous l'augure des frimas, le joyau perdu se ternit...»

une ligne, et l'emprunte ocre de la main qui s'est appuyée sur le parchemin vient suivre les précédentes :

« Sur les dunes d'or et brûlantes, un bambin s'est assis..., »

Caliel surveillait les allées et venues de chacun, les bras croisés. Au fil des heures et des lignes qui s'ajoutaient, une ride se dessinait sur son front, soucieuse et creusée. Les cernes qui décoraient ses yeux trahissaient un manque de sommeil évident.
Il avait placé le parchemin dans la bibliothèque. La pièce, étroite et mal éclairée, dégageait une atmosphère moite et chaleureuse ; mais la comptine qui se constituait n'était pas là pour le rassurer.

« A l'heure des astres fous, bien heureux les croyants... »

« Dans le berceau des embruns, là où nul nuage n'est blanc »

« ...Finalement, la reine se drapera d'un carcan
Lorsque la Balade annoncera l'ouragan. »

« Sous l'augure des frimas, le joyau perdu se ternit...»

« Sur les dunes d'or et brûlantes, un bambin s'est assis..., »

Une nouvelle ligne, ainsi qu'une annotation, s'était ajoutée aux précédentes dans la nuit.

« A l'heure des astres fous, bien heureux les croyants... »

« Dans le berceau des embruns, là où nul nuage n'est blanc »

« ...Finalement, la reine se drapera d'un carcan
Lorsque la Balade annoncera l'ouragan. »

« Sous l'augure des frimas, le joyau perdu se ternit...»

« Sur les dunes d'or et brûlantes, un bambin s'est assis..., »

« ... Assoiffé et éteint, son repos s'obscurcit. »

« ...Là où les morts se liguent, à l'ombre du dément. » (Clyde)

D'une écriture fine, de belles courbes parfois agrémentées de traits plus appuyés, comme si la main était tendue :
« ...Le dernier lit souillé a laissé partir son enfant. »

« Hammervault, ça vous parle, pourtant, non ? Et vous voulez me faire croire qu'ils parviennent à rester planqués ? »

La naine secoua la tête. Rien n'y faisait. Tous ses efforts n'allaient désormais plus que dans un sens : celui de retrouver Warthson. Il salua son interlocutrice et se dirigea d'un pas lourd vers les Quartiers. Quelques minutes plus tard, la porte claquait derrière lui alors qu'il s'engouffrait dans la lumière restreinte et chaleureuse.

Il s'avança vers la cheminée pour y jeter quelques bûches et les enflammer péniblement. Ce soir, il accueillait la solitude avec gratitude. En s'écroulant, épuisé, dans l'un des deux fauteuils placés devant la cheminée, il s'apprêtait à rejoindre le sommeil. Trop rare, ces derniers temps. Trop bref.

Mais le sommeil ne vint pas. Il somnolait, bien sûr. La chaleur montante et agréable des flammes lui caressait la peau et s'ancrait jusqu'aux os, et il glissait doucement, confortablement dans l'assise. Mais il ne dormait pas : ses yeux, mi-clos et vitreux, fixaient les flammes. Elles l'hypnotisaient.

Et puis il sentit une main se poser sur la sienne, la gauche. Son regard dériva. Du coin de l'oeil, il devinait une silhouette menue. Elle prit la parole, et lorsqu'elle parla, il lui sembla l'entendre au travers d'un écran d'eau.

« Tu devrais dormir. Bientôt tu tiendras plus debout. »

Son regard retourna sur le feu vacillant. Il sentait les minutes, les heures s'écouler. La main restait là, et il la tenait, il pouvait la toucher. Il retourna la sienne, l'enferma tendrement dans sa paume sans pour autant trouver la force de se tourner.

« C'est en partie à cause de toi..., murmura-t-il.
- J'avais deviné, ouais. » Nouvelle ondulation. La voix de la jeune femme se fit plus faible. « Tu vas bientôt plus pouvoir marcher, si tu dors pas. Surtout si tu nous portes tous sur le dos tous les jours. Fais-nous descendre, de temps en temps. »

Sa main lui échappa. Les images devenaient floues, l'obscurité s'emparait de lui. Il la vit cependant face aux flammes, se frictionnant les bras. Une gamine blonde. Une autre silhouette la rejoint peu après. Puis deux. Puis d'autres encore. Ils l'entouraient, sans le regarder. Une dernière s'avança, un homme en armure sombre. Warthson.

Caliel s'éveilla dans un léger sursaut. Il était seul. Le feu crépitait et la nuit était éternelle.

Déjà quatre jours que le bougre de Capitaine, Warthson, est porté disparu. Pour ceux ayant passé du temps en Forgefer, et s'étant possiblement arrêté à la Planque pour s'y reposer après de longues heures à mijoter dans l'incertitude, ceux-là pourraient tomber sur les affaires d'Evan. Son armure sombre, ses lames ornées et quelques fines lames, mais également une petite besace contenant une flasque d'alcool, quelques fioles et une liasse de feuillets. En les parcourant du regard, vous remarquerez qu'il s'agit de la correspondance d'Elheïs, sauf une page que Warthson aura balafré de son écriture.

« ...Car en l'absence de rois, seule survit l'hystérie. »

La fin de soirée du sorcier aura été guidée par sa quête d'indices, de traces ou de témoins laissés par Evan et ses éventuels ravisseurs, enquêtant tout au long du chemin allant du Brikabrok jusqu'à l'emplacement des bureaux d'Hammervault aux côtés de sa coéquipière du Kirin Tor. Ce n'est que tard dans la nuit que le jeune homme aura regagné les Quartiers, après s'être décidé d'arrêter les recherches d'un commun accord avec Zoemi.

Se déplaçant à pas de loup dans les appartements, Clyde aura rapidement repéré son compatriote Gilnéen somnolant près de la cheminée; hésitant entre le soulagement de voir ce dernier se reposer, et le doute quant au fait qu'il soit bel et bien endormi, il aura décidé de faire le moins de bruit possible, alors qu'il inspectait les affaires laissées par Evan. Fouillant les feuillets à la recherche du nom de Sonwrath, il sera tombé bien rapidement sur le bout de lettre griffonnée par le Capitaine : s'en suivit un nouveau périple silencieux vers le parchemin d'Adusa, qu'il annota de la phrase manquante en bas de page. Passant quelques longues minutes à relire l'ensemble, il aura finalement secoué la tête en soupirant, avant de faire le chemin inverse, se dirigeant vers la porte d'entrée tout en surveillant les songes du paladin déchu. Une légère moue crispée barra ses lèvres lorsqu'il referma la lourde porte plus fort qu'il ne l'aurait voulu, tirant sa révérence d'un tour de clé, avant de filer s'aventurer dans la cité Naine.

Les préparatifs occupaient ses pensées à chaque instant, et il préférait ça. Ce soir, c'est encore une fois les bras encombrés qu'il entra dans les Quartiers. Il portait du bois sec, et raviva le feu qui s'éteignait. En regardant derrière lui, il nota l'enveloppe que sa botte avait marquée, derrière la porte d'entrée.
La laissant en évidence sur une table, il en profita pour afficher une note à l'intention de tous :

Caliel a écrit:Nous partons dimanche soir. A ceux qui n'ont aucun proche à honorer à Gilnéas, ils monteront à bord de l'Eden, le navire de Warthson, et l'accompagneront à la réunion des Conjurés à Menethil.

La pluie battante, incessante, avait remué la terre et noyé des cultures déjà désolées par la vague réprouvée. Le bois qui constituait les rares poutres encore debout de l'ancienne demeure de la sorcière avait été comme pétrifié, et seules les fondations de pierres n'avaient pas fini vermoulues sous le tapis glissant de feuilles mortes.
Des décombres dépassaient pots de terres et fioles parfois encore miraculeusement intactes, mais aussi la couverture d'un livre dofnt il ne restait plus que la couverture moisie pour témoigner d'une histoire, de bon nombres de contes dans un nid d'apparence prospère.

Seules les gouttes de pluie ruisselantes d'un arbre jusqu'aux ruines troublaient le silence imposé depuis voilà de longues minutes par Clarice qui s'était agenouillée devant un cercle de pierres immaculées, entourant un monticule de terre recouvert de mousse.

«Ruben.»

Un prénom, deux syllabes prononcées a mi-voix, d'une pudeur imposée, et plus rien, sinon le craquement de la terre et le soulèvement des pierres, lorsqu'un rosier sauvage vint croître tout autour, s'élevant au dessus des ruines. Les ronces tortueuse avaient bientôt terminé d'envelopper la dernière demeure du défunt, laissant la sorcière y garder refuge.

« Ruben. »

Le cercle de pierres avait été dérangé. Sous les doigts de Clarice ne s'agitait qu'une terre fraîche et retournée, car la tombe était vide – quelqu'un l'avait fouillée récemment. La mousse déchirée s'effilochait lentement aux pieds de l'arbre. Le vent ne soufflait plus et la pluie s'était, pour un moment, arrêtée de tomber.
Le temps n'avait plus cours depuis qu'elle s'était rendue compte que la tombe avait été profanée.

L'aube grise commençait à percer au travers des canopées de la Forêt Noire. A l'ouest, paisibles, des ossements décharnés et parfaitement nettoyés de leur chair s'étaient empêtrés d'une manière ou d'une autre dans un champ de ronces. L'herbe dans leur sillage, depuis le cercle de pierres, était couchée.

Un rai de soleil s'élança comme pour jeter la scène au regard de Clarice.

Il y a deux ans

Dans les rues de Hurlevent, il y avait une petite fille avec un chat mort dans les bras. Elle criait à qui voulait bien l’entendre : « Mon chat dort ! Mon chat dort ! Aidez-moi à le réveiller. »

Les passants, attristés par le spectacle, lui offraient quelques paroles gentilles, mais elle ne s’intéressait qu’à son chat mort, que quelques paroles gentilles ne ramèneraient pas. Elle s’arrêta dans une ruelle pour pleurer, le petit animal serré contre son corps en poupée paisible.

La matinée s’assombrit lorsque l’ombre d’un homme la recouvrit. Il s’arrêta. C’était un bel aristocrate, quelqu’un de la haute, avec une barbe entretenue et des cheveux noués, tout d’argent. L’un de ses yeux était caché. Il prit l’animal par le cou en l’arrachant des bras de la fillette, puis souleva son cache-oeil. Alors qu’elle perdait connaissance, tétanisée de terreur, le chat se mit à cracher et à fendre l’air.

L’inconnu s’éloigna en laissant là l’enfant évanouie, et le chat qui s’enfuyait, bien vivant. Il feulait et bavait, le corps agité de spasmes contre nature.

Le vent s'était levé et faisait courir des nuages blancs entre les pics colossaux d'Alterac. La nuit était dangereuse, ici – surtout en hiver, quand la vie quitte les sommets, faute de chaleur. Deux silhouettes indistinctes progressaient au travers du manteau neigeux ; deux hommes aux airs d'aveugles.
Celui qui menait la marche vérifiait la stabilité du sol, la profondeur de la poudreuse, avec une longue branche tenue d'une main. De l'autre, il traînait son compagnon d'infortune par une longe accrochée à ses mains liées. Il le rappelait à l'ordre régulièrement en le tirant par la laisse.
Le vent devint trop fort. Les flocons trempaient leurs vêtements et leur perçaient la peau comme mille aiguilles de glace, et il n'y avait aucun abri alentours. Le meneur aux cheveux gris chercha de la neige dure un moment, puis il s'arrêta et se tourna vers l'autre.
« Creuse », fit-il. Sa voix était cassée ; la voix des muets.

Il y eut un instant de flottement, d'hésitation, jusqu'à ce qu'une bourrade violente ne mette le prisonnier à terre. Le pauvre hère se mit à creuser dans la masse solide comme de l'argile, avec des mains qu'il ne sentait déjà plus, au travers de paupières gonflées d'hématomes. Bientôt, le sol devint rouge. Ses doigts n'étaient plus que des plaies. Mais il creusa, et creusa, et pendant qu'un monticule de neige montait à côté, un trou large comme un homme était foré dans la neige d'Alterac.
Deux heures s'écoulèrent. L'un qui creusait, l'autre à l'épier. Et le blizzard soufflait déjà ses températures mortelles et sa tempête sur eux. Lorsque le trou fut assez profond, il s'engouffrèrent vite à l'intérieur, et rebouchèrent l'entrée.
« J-jusqu'où vous comptez aller ? Il n'y a rien que des steppes mortes pendant des milles et des milles.
— Je sais. On tourne en rond. »
Le prisonnier souffla sur ses mains déchiquetées. Il se mit à geindre et à hurler lorsque le sang y revint. De longues minutes endolories. L'homme dormit un peu, et à son réveil, son geôlier était encore là. Il le fixait dans le noir, emmitouflé dans son manteau de pénombre.
« Je pourrais vous guider... » tenta-t-il.
L'autre souffla un rire nasal, et répondit :
« Je connais ces montagnes. Nul besoin de guide.
— Mais vous vous êtes perdu.
— Non. »
Dehors, le blizzard soufflait encore, balayant leur abri d'une couche de poudreuse qui allait leur poser problème lorsqu'ils devraient remonter. Ils avaient moins froid, ici, mais ne survivraient pas plus de quelques jours. Et, à bien y réfléchir, son ravisseur ne s'était jamais plaint du froid. Stoïque, glacial comme l'étaient les pics alentours, il voulait quelque chose.
« Vous--... Vous comptez errer jusqu'à ce que...
— Oui. Tu as suivi les mauvaises personnes... Et Aubenorth est bien loin, désormais.
— Qu'allez-vous me faire ? »
Il y eut un bref silence. L'homme aux cheveux gris, enturbanné dans ses épaisses fourrures, étendit les jambes.
« Rien ne vit ici », dit-il. « Pieds et poings liés, tu n'iras pas bien loin. Mais le corps se réchauffe avant de mourir de froid. Ce ne sera qu'une illusion. Une fièvre salutaire. Dans l'euphorie, tu ne songeras plus à tes doigts noircis, à ton cœur ralenti. On oubliera ton corps dans son tombeau de givre. Voilà tes derniers instants. Surveille tes prochaines paroles, conjuré : l'enfer blanc te surplombe. Je n'attends qu'un nom. »

Des noms... il en connaissait. Asgeir, pour commencer – mais c'était lui qui avait mené la bande de fouineurs de Surwich jusqu'à Aubenorth avant de se volatiliser avec les siens. Quant aux prochains ordres qu'on lui avait confiés...

Il n'avait pas encore assez souffert.
Pas encore.